Ligne éditoriale

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Vingt ans après la disparition de l’URSS, l’étude des Etats postcommunistes demeure profondément d’actualité. Au-delà de la conviction liée à l’intérêt de la connaissance même de ces Etats, paradoxalement tombés - au moins pour les plus orientaux d’entres eux - en quasi désuétude universitaire, un certain nombre de questions, liées au droit et à la transition, nous apparaissent toujours se poser et constituer ainsi la véritable raison d’être de cette Revue. Les transitions est-européennes révèlent en effet une problématique juridique complexe qui, replacée dans un contexte international nouveau, soulève des questions universelles.
La Revue a pour premier objectif de mettre en évidence et de poursuivre la construction d’une « théorie générale du droit de la transition démocratique ».
Celle-ci s’inscrit dans une interaction complexe avec des bouleversements politiques et sociaux. Elle reste l’instrument privilégié des acteurs politiques qui conduisent les changements, tout en devant refléter les évolutions du corps social destinataire. Toutefois, cette posture de « reflet » n’épuise pas ses implications.
La Constitution transitionnelle est aussi un instrument de démocratisation qui impose un certain nombre de comportements et de principes participant de la construction démocratique et de son renforcement. Dès lors, la vertu de ce droit repose sur l’appui que sa normativité procure aux effets « démocratisants » du texte constitutionnel.
Dans cette perspective, le droit constitutionnel de la transition démocratique correspond d’abord à l’ensemble des opérations qui conduisent à la disparition d’un régime politique totalitaire et à son remplacement par un régime démocratique. Mais, il ne s’achève pas par la simple adoption d’une Constitution post-transitionnelle. Le Droit constitutionnel des transitions démocratiques peut en effet être défini comme l’ensemble des processus constitutionnels ayant pour objet, non seulement le remplacement des normes constitutionnelles totalitaires par des normes constitutionnelles démocratiques mais également l’application effective de ces normes, jusqu'à la formation d’un régime politique témoignant d’un niveau démocratique suffisant pour attester de sa rupture avec le système totalitaire.
Cette consolidation s’avère complexe et longue. Elle impose en effet une profonde mutation des méthodes de gouvernement. La transition ne peut se résumer à changer les titulaires des fonctions étatiques et leurs modalités de désignation, elle impose de nouvelles méthodes de gouvernement et de contrôle de celui-ci. Il ne saurait donc être question, pour aucune autorité, de remettre en cause la légitimité des autres institutions publiques et de vouloir s’arroger des pouvoirs et compétences dépassant ce que la constitution autorise. De même, le conflit devenant légitime et « fondateur » du nouvel ordre politique, il importe que celui-ci puisse librement s’exprimer et reste limité dans les formes constitutionnellement prévues pour son expression. Il doit pouvoir être tranché par une autorité légitime parce qu’extérieure, neutre et objective : l’indépendance, la compétence et l’honnêteté de la justice étant indispensables à la consolidation démocratique.
Or, désormais, ces mécanismes peuvent être observés sur la durée et avec de la distance à l’égard des événements, ce qui rend possibles une analyse critique et une juste mesure de la réalité des transitions postcommunistes. La Revue doit alors être un cadre de réflexion tant sur les processus transitionnels passés ou en cours, que sur les facteurs qui concourent à leur réussite ou à leur échec. Une place importante sera ainsi toujours accordée à l’influence du Conseil de l’Europe et notamment de la Commission de Venise et de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette dernière joue en effet un rôle décisif dans la condamnation voire la disparition des pratiques les plus incompatibles avec la démocratisation telles que les atteintes portées au droit à la vie ou à la prohibition de la torture. De même, un large espace sera réservé à l’impact de l’intégration de certains Etats postcommunistes au sein de l’Union européenne. La Revue doit également permettre la mise en exergue des techniques constitutionnelles qui, aujourd’hui encore, concourent à la consolidation démocratique.
La Revue a également vocation à se pencher sur un deuxième axe inhérent à la transition : la question de la mémoire.
La volonté de démocratisation implique en effet, pour les nouveaux gouvernants, de s’interroger sur les fondements sociaux de l’ancienne dictature, cette dernière n’étant que rarement un « accident de l’histoire ». La dictature est au contraire souvent la conséquence d’un trouble social et repose sur des instruments spécifiques. Si aucun peuple n’est condamné - ni historiquement, ni culturellement, moins encore « génétiquement » - à la dictature, nombre de pratiques sociétales héritées de l’histoire et des conditions de développement de chaque Nation peuvent constituer de puissants obstacles à la démocratie. Il importe alors que les gouvernants, en s’appuyant sur la nouvelle constitution, s’interrogent sur les régimes politiques antérieurs et les pratiques qui ont contribué à leur éclosion. Le thème de la mémoire est également fondamental à un second titre. La dictature peut générer des déchirures au sein de la société et produire de véritables traumatismes qui sont autant d’obstacles à sa disparition. Il convient alors d’inscrire la démarche « démocratisante » dans une dynamique de réconciliation nationale et de reconnaissance des droits des victimes. L’exemple de l’Afrique du Sud et de la commission « vérité et réconciliation » doit ainsi servir de modèle aux sociétés post-totalitaires, en ce sens qu’elle est une tentative de conciliation entre le besoin de ne rien occulter des réalités dictatoriales et la nécessité de reconstruction d’une société nouvelle. Il n’est pas possible d’opérer une réelle démocratisation sans que cette démarche ne soit conduite et répétée autant de fois que nécessaire. La Revue a alors vocation à publier les travaux des chercheurs qui ont trait à l’histoire, au traumatisme, à la réparation et à la pacification des relations sociales en Europe de l’Est.
La troisième thématique, elle aussi développée dans la continuité des études sur la transition est-européenne et du rôle joué par les différentes minorités nationales, vise à réfléchir sur le concept de Droits culturels et linguistiques à la fois quant à leur réalité en tant que Droits fondamentaux, mais aussi en raison de leur signification sociale et politique. Cette question spécifique reste au cœur des mécanismes transitionnels et de pacification sociale. Si les revendications nationales ont été un facteur clé d’amorce des transitions en Europe de l’Est, elles en sont également une conséquence. Selon les Etats, elles soulèvent d’ailleurs des problématiques différentes, qui doivent être abordées dans le cadre de la Revue. Il s’agit, par exemple, de la reconnaissance et de la protection des droits des minorités, des techniques juridiques innovantes permettant leur autonomie à des degrés divers, mais également la cohabitation des peuples au sein d’un même espace étatique ou encore de la résolution des conflits, qu’ils soient ou non armés.
Le champ d’étude de la Revue se veut donc particulièrement vaste et ouvert. Pour qu’elle en reflète et en explore la richesse, sa ligne éditoriale originelle, caractérisée par sa volonté de diversité, doit être maintenue.
Diversité des contributions d’abord. Cette revue se veut être un lieu de rassemblement des acteurs d’Europe de l’Est et des scientifiques qui l’étudient. Ses colonnes sont donc d'abord largement ouvertes aux chercheurs des Etats concernés. Ceux-ci pourront, par notre intermédiaire, directement exposer leurs travaux aux lecteurs occidentaux, en dépassant les obstacles tenant à la langue et aux moyens de communication. Les scientifiques occidentaux (français, allemands, américains, britanniques et espagnols) sont également partie prenante à cette revue afin de compléter et de confronter leurs analyses.
Diversité des approches ensuite. Cette revue se veut être un lieu de confrontation et d'échanges. Si nous revendiquons notre identité de revue de sciences juridiques attachée en cela à une présentation académique des contributions (garantissant ainsi une véritable crédibilité), nous considérons que toutes les approches sont recevables et contribuent à l'éclairage des connaissances. Il convient d’ailleurs de ne pas limiter nos réflexions aux questions touchant directement l’Europe de l’Est pour ouvrir des débats sur des thèmes plus universels (mais qui ont, en Europe de l’Est, une résonnance particulière) tels que la question des minorités, des conflits, des peuples sans Etat ou de la démocratisation.
Diversité des champs disciplinaires enfin. Si notre revue revendique, là encore, son identité juridique, tant en raison de son objet que de son orientation générale, nous considérons que le Droit (et la construction des Etats de Droit en Europe de l'Est) est un sujet véritablement complexe dont la compréhension peut être grandement facilitée par le concours d'autres champs disciplinaires. Cette revue affirme donc son caractère pluridisciplinaire et s'ouvrira aux multiples domaines qui permettent d’aborder et d’éclairer ses thématiques.